Le théâtre de l’expérience se situe quelque part dans les Rocheuses canadiennes, dans une réserve naturelle où la proximité de l’homme avec la vie sauvage est à la fois séduisante et problématique.
Une femelle grizzly arpente le terrain. Elle a trois ans quand elle est capturée par des rangers. Piégée puis endormie, on l’équipe d’un récepteur GPS et d’une puce électronique. On lui donne un nom, aussi. Elle devient l’ourse 71 et rejoint le renard 55, le cerf 431 ou le loup 48 ; soit la vie sauvage traquée par les caméras des hommes.
C’est l’histoire de cet animal désormais pisté que nous conte une voix-off écrite à la première personne pour épouser le point de vue du plantigrade. L’anthropomorphisme rapproche le spectateur de la peau de l’ourse parquée et exposée aux barbelés, aux autoroutes, aux chemins de fer ou aux émanations toxiques. Le programme avertit : « Il n’y a pas beaucoup de façons de mourir pour un grizzly. Du moins, c’était le cas à l’état sauvage ».
L’internaute navigue sur une carte symbolique du territoire. Nature schématisée et stylisée : des cercles noirs et des pastilles vertes figurent le relief et la végétation ; des marqueurs représentent l’emplacement des animaux comme celui des visiteurs. L’ensemble forme un univers interactif mouvant, qui fluctue à mesure des déplacements de l’utilisateur. Des icônes renferment les contenus à découvrir : photographies et images de vidéo-surveillance puisées dans dix ans d’archive, mais aussi informations techniques ou sensibles sur les animaux.
Le design graphique et sonore offre à l’internaute plusieurs strates de récit, indépendantes et complémentaires. L’histoire linéaire contée par la voix-off se superpose au parcours interactif de l’utilisateur. L’expérience globale décrit un monde sous surveillance, qui englobe l’internaute via sa webcam. Traqueurs et traqués se confondent alors dans un saisissant retournement réflexif qui nous donne à penser sur la chimère d’un contrôle technologique absolu.